Comment l’hôpital et le système de santé en arrivent au point de non-retour…

L’évolution des structures d’hospitalisation depuis les années 80 en regard de la population :
55,91 millions de français en 1983, 66,99 millions en 2019.
Les capacités en lits d’hospitalisation :
392 644 lits en hospitalisation publique en 1981, 256 051 en 2011
70 479 lits pour l’hospitalisation privée à but non lucratif en 2000 pour 57 717 en 2011.
L’hospitalisation complète a perdu 69 000 lits en 15 ans et presque 100 000 sur 20 ans.

Le nombre de lits de maternité a été divisé par 2 en 30 ans avec une réduction du séjour de 8 à 4,2 jours. Ces fermetures ont concerné essentiellement le milieu rural et péri-urbain avec les risques que l’éloignement fait courir aux patientes.

Pour la psychiatrie, 120 000 lits en 1980 pour 55 000 en 2011. La sectorisation destinée à améliorer la prise en charge des pathologies mentales avec une ouverture sur l’extérieur n’a pas été suivie de la mise en place de structures d’accompagnement des patients à hauteur des besoins qui ne cessent de croître

La plupart des lits de soins de longue durée (anciennement long séjour) souvent adossés à un hôpital ; donc relevant de la compétence du secteur médical avec une tarification spécifique pour l’hôtellerie ; est passé en EHPAD donc en secteur médico-social avec des ratios en personnel qualifié nettement moins importants.

Le numerus clausus pour les médecins instauré en 1972 a généré la pénurie que l’on connait aujourd’hui, avec des zones du territoire qui ne sont plus couvertes par les généralistes et encore moins par les spécialistes, la conséquence étant l’afflux aux urgences des patients qui n’ont plus aucun autre recours en cas de problème de santé…y compris la bobologie.

Ce numerus clausus s’est accompagné de fermetures d’écoles d’IDE (Infirmier-re Diplomé-é d’Etat, aujourd’hui IFSI Institut de Formation en Soins Infirmiers) entrainant une diminution de candidat-e-s à la formation d’Infirmier-e en soins généraux.

La suppression du diplôme d’état d’IDE en psychiatrie en 1994 a eu un effet dévastateur sur ce secteur particulier. D’un établissement prenant en charge efficacement et avec humanité des maladies mentales variées grâce à un personnel formé et compétent dans ce domaine, actions permettant une ouverture sur l’extérieur et un suivi régulier des patients, nous revenons aujourd’hui à une surmédicalisation et à des méthodes de contention en cas d’agitation comme au 19ème siècle faute de moyens humains et matériels suffisants.

Quant au handicap, la France porte le bonnet d’âne dans sa prise en charge à tous les niveaux ! Des aménagements urbains aux transports en passant par les logements adaptés, l’école et les centres spécialisés quasi inexistants obligeant les familles à trouver des structures d’accueil dans d’autres pays comme la Belgique.

Quant aux financements qui s’établissaient avec des prix de journée négociés entre l’assurance maladie et l’état, sous l’ère Mitterrand est apparu le dogme « la santé n’a pas de prix mais elle a un coût » d’où la mise en place du budget global initié en 1984.

Cette enveloppe budgétaire qui devait être réajustée chaque année en fonction des dépenses réelles de chaque établissement sur justification, mais dont les dotations se sont vues réduites au fil des années et de l’augmentation de ces dépenses a, de fait, créé des inégalités entre les structures dont les activités n’étaient pas forcément comparables, certaines étant sur-dotées par rapport à d’autres qui devaient accueillir des patients souffrants de pathologies beaucoup plus lourdes.

La création des ARH sous l’ère Juppé (agences régionales d’hospitalisation), devenues ARS en 2010, dont l’objectif était de déconcentrer la politique hospitalière du gouvernement sont devenues le bras armé des restrictions budgétaires demandées par le ministère sans aucune étude sur l’impact prévisible au niveau de la population des territoires. L’absence de gestion prévisionnelle des besoins humains et matériels pour faire face aux problèmes sanitaires et aux pathologies à venir, compte-tenu de l’âge des citoyens et des comorbidités qui se faisaient jour, conduit aujourd’hui à une situation catastrophique de la prise en charge de la prévention, de l’éducation à la santé, des maladies générales avec un engorgement des urgences et des services d’hospitalisations.

En 2004 une nouvelle réforme a mis en place la tarification à l’activité ou T2A, système totalement inadapté pour les hôpitaux publics ou privés assurant une mission de service public, qui accueillent toute la population et toutes les pathologies, y compris les plus graves, contrairement aux cliniques privées orientées plus spécifiquement sur la chirurgie rentable et avec peu de risques. La mise en place de pôles au sein des hôpitaux publics pour gérer les pénuries en tous genres, en fonction des moyens et non des besoins a précipité le personnel de soins dans un turn-over constant et un découragement de plus en plus important. La notion d’équipe au sein d’un service étant essentielle pour la cohésion des soins et du bien-être au travail a été saccagée par ces changements d’organisation.

La mise en place des 35h n’a pas été suivie par les embauches compensatoires nécessaires d’où la conséquence pour les hôpitaux de l’AP-HP notamment d’un million de journées accumulées par le personnel. Sur 37 000 postes non médicaux indispensables, seuls 32 000 ont trouvé preneur et sur 5000 recrutements médicaux prévus il n’y a que 3 500 médecins qui ont pris un poste.

Cette pénurie a désorganisé complètement les services hospitaliers avec une mutualisation des personnels contraints de changer de secteur d’un jour sur l’autre pour pallier les déficits à certains endroits, mettant ainsi à mal la possibilité d’un travail suivi et efficace auprès des patients du service qu’ils avaient choisi et leur donnant la sensation de ne pas assurer une qualité des soins que les malades sont en droit d’espérer avec la crainte d’erreurs dans les traitements pouvant entraîner une judiciarisation.

Les changements d’horaires intempestifs, la réduction voire la suppression des congés prévus pour compenser les postes vacants ont rendu la vie de famille compliquée pour beaucoup de soignants même avant la pandémie puisqu’ils avaient manifesté toutes catégories confondues leurs souffrances au travail, leur manque de reconnaissance, leur épuisement professionnel.

Dans le même temps, pour diminuer le nombre de journées d’hospitalisation et faire des économies, l’état a fait pression sur les hôpitaux afin de développer la médecine et la chirurgie ambulatoire. Cette conception des soins et des traitements qui consiste à jeter dehors tous les patients après un examen ou une opération peu traumatique, sans prise en compte de la situation des personnes seules, âgées, handicapées, s’avère délétère pour une partie de la population fragile, avec un domicile pas toujours adapté et pas de famille autour, avec une impossibilité de subvenir à leurs besoins d’où des retours aux urgences en catastrophe et l’aggravation de l’état physique et psychologique.

Depuis, une pandémie mondiale a démontré l’incapacité des gouvernements successifs à prévoir les risques et l’adaptation à cette crise sanitaire (pourtant prédite par l’OMS) et a démontré la nécessité d’anticipation dans les années qui viennent et qui, en plus des virus, nous amènera les conséquences sanitaires de la crise climatique. Le budget de la sécurité sociale ne peut plus faire l’objet de tergiversations entre nos différents ministères, notamment celui de l’économie car à force d’exonérer les cotisations sociales, de s’attaquer aux chômeurs plutôt qu’au chômage, de servir la finance au lieu des habitants nous atteignons le point de non-retour dans beaucoup de domaines, notamment sanitaire et écologique.

Il est urgent de recruter des soignants et les aumônes sont inutiles si les conditions de travail restent identiques. La gratuité des études assortie d’une rémunération des stages pour tous les étudiants en santé et de bourses de subsistance accompagnées d’un contrat d’engagement à exercer au moins 5 ans dans les établissements publics et/ou dans des territoires sous dotés sont une des solutions pour remédier à la pénurie. La régulation des emplois médicaux doit devenir la norme pour éviter d’avoir des déserts et des régions bien servies. Elle existe déjà pour les autres professions paramédicales et les pharmaciens.

La mise en place de maisons de santé pluridisciplinaires accueillant des généralistes et des auxiliaires de soins (personnel de rééducation, IDE, pédicure-podologue…etc.), avec des consultations de spécialistes selon des besoins définis à partir de statistiques sur les besoins d’un territoire qui pourrait correspondre aux anciens cantons, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes, en y intégrant les liens avec l’hôpital le plus proche devient indispensable. L’exercice pourrait se faire en libéral comme sous forme de salariat au vu de la féminisation des professionnels et de l’aspiration à rendre compatible des missions aux contraintes horaires importantes avec une vie de famille décente.

Jacqueline Braire, Le Guilvinec