Merci M. Arnault …

On ne peut que se réjouir pour les Resto du Cœur : 10 millions donnés par Bernard Arnault et sa famille, cela correspond à 1/3 de la somme nécessaire pour boucler le budget de l’association et permettre ainsi à certains de nos concitoyens de survivre … un peu.

Ce don a largement été médiatisé et commenté.

On peut bien sûr apprécier ce geste et se dire que c’est déjà ça de gagné, et c’est vrai.

On peut par contre se poser la question sur l’acte en lui-même. Faut-il faire venir les journalistes et se pavaner devant les médiats ou plutôt rester humble comme Françoise, qui sur sa maigre retraite donne 5 € tous les mois à son association préférée.

On peut se poser aussi la question du montant de cette somme. Ce don correspond à 0,004% de la fortune personnelle de M. Arnault, mais bon c’est 10 millions ! Alors que pour Françoise cela fait 0,33 % de sa retraite, mais ce n’est que 5 € ….

Mais la véritable question que l’on doit se poser n’est-elle pas quelle justice sociale veut-on pour notre société ?

Que penser d’une société qui permet aux plus riches ne pas participer au bien de tous ? (M. Arnault ne paie que 2 % d’impôt en France et n’est pas soumis à l’ISF). Continue reading “Merci M. Arnault …”

Une dangereuse ubérisation des états

Une dangereuse ubérisation des états

L’actualité de la crise sanitaire est dominée par l’apparition de nouveaux variants du Covid-19 impliquant des mutations qui risquent de compromettre l’efficacité des vaccins. Mais une autre mutation, non moins importante, semble en gestation dans le cadre de cette crise.

En effet, d’importants indices semblent annoncer de sérieux changements dans la composition – et la direction – du système capitaliste mondial. D’un côté, des faillites, menaces de faillites et/ou pertes gigantesques et en cascade de grosses entreprises, souvent centenaires, et ce, dans des secteurs très variés. La Société générale, Commerzbank, Deutsche Bank, Santander, pour le secteur financier; Exxon, British Petroleum, Chevron, Shell, Total, pour l’énergie; Lufthansa, Airbus, British Airways, Boeing, SNCB, pour le transport ; Thyssenkrupp, Renault, Rolls-Royce Holdings Inc., Fiat Chrysler, Siemens, Danone, Adidas… pour l’industrie.

De l’autre côté, une poignée d’entreprises phares du nouveau capitalisme de plateforme, les Gafam (Google, Amazon, Microsoft et autres Tesla, SpaceX..) engrangent des bénéfices gigantesques. Mêmes performances dans l’industrie de l’armement (General Dynamics, Raytheon, Northrop Grumman, Dassault, Lockheed Martin…) et les grands de Big Pharma (Pfizer, Glaxo-SmithKline, Moderna, Johnson & Johnson et BioNTech). Et ce, dans un processus de clair rapprochement entre ces « gagnants ».

Serions-nous devant la formation d’un nouveau complexe militaro-pharmaco-numérique voué à gérer la mondialisation du XXIe siècle ?

Ces listes des « perdants » et « gagnants » ne sont ni exhaustives ni représentatives de situations similaires. La situation calamiteuse des banques Santander (Espagne) et Commerzbank (Allemagne) est différente, par exemple, de celle de la Deutsche Bank et de la Société générale, qui viennent d’être sorties du « rouge » par Merkel et Macron. Indice intéressant dans le domaine financier et dans la même direction de cette chronique : Christine Lagarde (FMI) et Janet Yellen, secrétaire du Trésor américain, commencent à s’inquiéter sérieusement de l’avenir de leur monnaie avec les succès du bitcoin, de la libra (Facebook), blockchain EOS (Google).

Pour ce qui est du secteur pharmaceutique, les ententes avec les plateformes du Web font florès, Google en tête. Ce dernier a conclu des contrats avec GlaxoSmithKline, Sanofi et Novartis pour le traitement de diverses maladies, en cherchant à associer la technologie numérique et la recherche médicale. Amazon n’est pas en reste ; après avoir obtenu une licence pour avoir le droit de commercialiser des produits pharmaceutiques aux États-Unis, il a acheté, pour un peu moins d’un milliard de dollars, la société PillPack, spécialisée dans la commercialisation et le conditionnement des médicaments, opération qui a affecté les cotations des entreprises pharmaceutiques américaines. Des conversations avec Sandoz et Novartis laissent penser que Bezos compte investir également le domaine de la production pharmaceutique et ne pas se limiter au marché américain. En janvier 2020, Amazon Technologies Inc. a déposé une demande de marque au sein de l’Union européenne sous le nom d’Amazon Pharmacy. De son côté, le groupe Dassault, par ailleurs fabricant de l’avion de chasse Rafale, est devenu, via sa marque Biovia, le numéro un mondial dans la recherche sur les comportements biologiques et la thérapeutique intégrée. Mais là où les rapprochements sont les plus édifiants, c’est dans le secteur de la défense. Ils étaient déjà perceptibles lorsque, en 2013, Amazon, moyennant un contrat de plus de 600 millions de dollars américains, devenait le principal fournisseur de services de cloud Computing (système informatique d’archivage et de gestion de données en externe) pour la CIA et 16 autres agences de la « communauté du renseignement ». Puis, en octobre 2019, le Pentagone a attribué à Microsoft un contrat de 10 milliards de dollars pour dix ans, visant la création d’un cloud global, incluant la totalité des branches des forces armées, pour gérer la documentation sur la recherche de nouvelles technologies associées à l’essor de l’intelligence artificielle. Jeff Bezos (Amazon) conteste la décision, arguant qu’elle a été dictée par Trump pour favoriser Microsoft. A leur tour, Apple et Facebook se disputent le contrôle des données des utilisateurs d’iPhone. Signes des luttes au sein de l’oligopole…

De son côté, la CIA, voyant plus large et plus loin, concluait, en novembre 2020, un contrat pour les mêmes services, mais cette fois avec l’ensemble des géants du Web, qui ont été mis en concurrence.

Allons-nous vers une ubérisation des États ? Le récent recrutement du général Keith Alexander comme membre du conseil d’administration d’Amazon donne une idée du degré de proximité de ces partenariats. Chef des services de sécurité de l’armée lors des attentats du 11 septembre 2001 et à la suite de sa « remarquable » performance, il fut recruté par la NSA pour optimiser les systèmes d’écoute des communications, en concertation, déjà, avec les Gafam. C’est lui qu’Edward Snowden avait dénoncé comme étant le mentor du gigantesque système d’espionnage de la NSA. Une des raisons de la hargne contre WikiLeaks est que ce dernier a révélé, en 2018, le réseau de filiales, jusqu’alors secret, du système cloud d’Amazon dans une centaine de localités d’une dizaine de pays.

Aujourd’hui, conscient des énormes potentialités de l’intelligence artificielle, dont les Gafam sont devenus les maîtres incontestés, Keith Alexander a la tâche de faire d’elle un instrument géopolitique de premier ordre, dont Joe Biden n’aura qu’à tenir compte. Vu le pedigree de ce dernier et la composition de son équipe, gageons qu’Alexander sera bien servi.

La candidate aux élections présidentielles Elizabeth Warren avait inscrit le démantèlement des Gafam comme un des points majeurs dans son programme. Chris Hughes, fondateur avec Mark Zuckerberg de Facebook, partageait cette demande, déçu de voir ce que son groupe était devenu. Bien entendu, le Pentagone ne le permettra jamais. Pour le savoir (et en prendre note), écoutons Larry Page, un des fondateurs de Google, expliquer au Financial Times que les Gafam « ont vocation à remplacer les dirigeants politiques puisqu’elles comprennent mieux les enjeux du futur que les politiciens ».

 

Une autre logique

Une autre logique

Face à l’effondrement économique qui se dessine, Bruno Le Maire n’exclut pas de nationaliser temporairement certaines grandes entreprises. On sait que les gouvernements les plus imbus de doctrines néolibérales n’hésitent pas à recourir à ce moyen, comme pour les huit plus grandes banques du Royaume- Uni en 2008, ou pour General Motors en 2009. Mais a-t-on cherché à faire fonctionner ces entreprises autrement ? Assigné à leurs productions des buts sociaux et écologiques ? Nullement. On leur a, au contraire, demandé une seule chose : redevenir rentables – c’est-à-dire dégager les profits destinés à faire grossir le plus possible leur capital. Et lorsque ce but a été atteint, ces entreprises ont été rendues à des actionnaires privés.

Et c’est ainsi, les frayeurs passées, que les affaires ont repris : banques et multinationales ont recommencé à spéculer, à déplacer usines, emplois, profits et revenus taxables au gré de leurs exigences de rentabilité ; les gouvernements ont continué de les aider à faire baisser le coût du travail en réduisant les droits des salariés et en taillant dans les dépenses publiques. De sorte que, lorsque le virus est arrivé, non seulement les hôpitaux n’étaient plus en état de recevoir tous les malades, mais les chaînes de production mondiales, conçues pour la rentabilité et non pour la coopération et la sécurité, se sont effondrées.

Cette logique capitaliste de l’argent pour l’argent doit changer si nous voulons surmonter cette crise, et celles qui lui succéderont. Il faut cesser de laisser faire le marché, et de confondre création de richesses et accumulation de profits. Des entreprises nationalisées doivent être à l’avant-garde de l’exercice, par les travailleurs et par les usagers des services publics, de nouveaux pouvoirs pour opposer à la rentabilité capitaliste de nouveaux critères d’efficacité économique, sociale et écologique.

Nationaliser des groupes dans des secteurs essentiels pour la santé, pour l’énergie, les transports, pour le financement des investissements, fera partie des moyens d’y parvenir. L’efficacité et la sécurité doivent désormais être pensées et partagées à l’échelle de la planète : il faut donc concevoir des « co-nationalisations » à l’échelle européenne ou mondiale, par exemple pour un pôle pharmaceutique public européen. Pour atteindre des objectifs précis, planifiés, démocratiquement élaborés, décidés et contrôlés.

Cette nouvelle planification stratégique, démocratique et décentralisée, de l’activité industrielle et de services, avec des engagements chiffrés, sera la condition d’une victoire contre l’épidémie. Et le début d’une nouvelle logique démocratique et économique, contre la domination du capital.

Denis DURAND, Économiste, commission économique du PCF

Source : Journal L’Humanité

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