« Collectivité Européenne d’Alsace » , eurorégions, loi « 3D » : politique de proximité ou démantèlement de l’Etat-Nation ?
La Collectivité Européenne d’Alsace
Le 7 avril 2013 les Alsaciens furent consultés par référendum sur une réforme de leur organisation territoriale. Il s’agissait de réunir en une seule entité les deux conseils généraux du Bas Rhin (chef-lieu Strasbourg) du Haut Rhin (chef-lieu Colmar) et le conseil régional d’Alsace. La fusion n’eut pas lieu, les électeurs ayant refusé le projet. (1)
Sept ans plus tard, sans consulter les citoyens, sans publicité, on bafoue le vote populaire en imposant une réforme qui aurait sans doute été rejetée comme en 2013. Mais ce n’est pas nouveau en France : rappelez-vous le référendum de 2005 bafoué en 2008 ! (2)
A compter du 1er janvier 2021, les départements du Bas-Rhin et du Haut Rhin sont regroupés sous le nom de « Collectivité européenne d’Alsace ».
La Collectivité Européenne d’Alsace (CEA) correspond géographiquement à l’ancienne région Alsace et continue à faire partie de la région « Grand Est » . Le peuple n’a pas été consulté : nos élites dirigeantes ayant sans doute eu peur d’un nouveau refus.
La CEA aura des compétences spécifiques : elle sera chargée d’établir un schéma alsacien de coopération transfrontalière : promotion de l’allemand standard et des dialectes alsaciens, développement du tourisme et des loisirs, gestion du réseau routier public national non concédé, aide aux entreprises, développement des liaisons routières, ferroviaires, fluviales transfrontalières…
Pourquoi cette réforme ? Est-ce pour avancer dans un futur projet d’une « Europe des Régions » ? N’est-ce pas aussi une forme de “séparatisme ?”
Cette réforme du statut de l’Alsace s’inscrit en effet dans le contexte du développement des eurorégions (même si cette collectivité n’en est pas une officiellement). Une eurorégion est « une entité territoriale transfrontalière qui réunit les partenaires de deux ou plusieurs régions frontalières de différents Etats européens. Elles ont pour objectif de créer un espace cohérent, qui se développe de concert, pour faire de la frontière non plus un obstacle mais une ressource et une opportunité de développement. Pour ce faire, elle constitue un cadre à la coopération permettant de réunir les différents acteurs et de mettre en place des politiques et projets communs dans des domaines comme l’aménagement du territoire, les transports, l’économie locale, les activités culturelles, l’environnement, etc. toujours selon les spécificités de chaque frontières.» (3) Dans l’UE, les eurorégions sont constituées en général sous la forme juridique du groupement européen de coopération territorial (GECT) qui est une personnalité juridique composée d’États membres, de collectivités régionales ou locales, d’autres organismes de droit public, ou d’associations.
Au-delà des nobles intentions de développement de la coopération entre régions de l’UE, il convient de s’interroger sur l’instrumentalisation possible de ces dispositifs par les classes dirigeantes européennes en vue d’en finir enfin avec le cadre régulateur des Etats-Nations.
Fantasmes de souverainistes à tendance complotiste ? Voici pourtant ce qu’en disent Serge Federbusch, essayiste, (passé du PS à l’UMP…), et Yves de Kerdrel, (dirigeant de la presse Dassault, notamment de Valeurs Actuelles, rédacteur du Code de gouvernance du Medef), dans le Figaro du 12 /11/14 : « Les socialistes ont mal traduit le néolibéralisme en vogue depuis bientôt quarante ans dans le monde. Ils ont à peine dévêtu l’État mais ont rajouté couche sur couche à l’habit des autres collectivités au prétexte de déconcentration (…) La construction européenne et la mondialisation rendent en effet superflus, en France au moins deux des échelons suivants : communes, intercommunalités, départements, régions, État national et Union. Si un « cost killer » impitoyable s’emparait du pouvoir en Europe, il est probable qu’il supprimerait, pour la France, la strate départementale mais aussi la strate étatique qui entrave désormais les politiques communes plus qu’elle ne les relaie. Naturellement les traditions nationales répugnent à cette disparition. Les élus n’ont pas envie de se faire hara-kiri »(4)
Dans un document intitulé « Besoin d’aire », édité en 2012, le MEDEF propose d’« oser le fédéralisme » afin de transformer l’UE en « Etats-Unis d’Europe .» (5)
La création de la « Communauté Européenne d’Alsace » est donc emblématique de cette volonté d’affaiblissement du caractère indivisible de la Nation définie par notre Constitution. La dimension « eurorégionale » de cet événement renforce la dépendance de notre pays au cadre de l’Union Européenne.
Cette politique de différenciation territoriale, est complètement assumée par les pouvoirs politiques depuis une quarantaine d’années et renforcée par les lois de décentralisations .
De la décentralisation à la différenciation
Et si l’Etat lui-même encourageait une forme d’autonomisme pour nos collectivités territoriales ?
Depuis 1982 une politique active de décentralisation des compétences de l’Etat a été engagée puis accélérée récemment sous François Hollande et Emmanuel Macron. Elle aboutit à des transferts de ressources et de compétences au profit des collectivités territoriales (communes, métropoles, départements, régions).
L’acte 1 de la décentralisation a eu lieu en 1982 (loi Deferre). Cette loi supprime la tutelle administrative exercée a priori par le préfet sur les collectivités territoriales, transfère le pouvoir exécutif départemental du préfet au président du Conseil Général et promeut la région en collectivité territoriale de plein exercice.
L’acte 2 se déroule en 2003 (gouvernement Raffarin) par la promulgation de la loi « relative à l’organisation décentralisée de la République française ». L’autonomie financière des collectivités territoriales est instituée. Il est instauré un référendum décisionnel local et un droit de pétition. De nouvelles compétences sont transférées aux régions (gestion du personnel non enseignant des lycées, formation professionnelle, organisation des transports ferroviaires régionaux).
En 2015, sous la présidence Hollande l’acte 3 se réalise par la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République). La loi renforce les pouvoirs des régions en transférant certaines compétences exercées par les départements (transports interurbains et scolaires, gestion des ports départementaux, gestion des déchets) et en accroissant leurs compétences propres concernant le développement économique et l’aménagement du territoire, elle renforce aussi celles des métropoles (Grand Paris, Lyon, Aix-Marseille-Provence…). L’intercommunalité est encouragée. Tout cela se réalise au détriment des niveaux départemental et communal.
Les régions sont redécoupées en 2015, sans concertation avec la population ou avec les élus, et passent de 22 à 13 en France métropolitaine. Ce redécoupage n’est pas sans liens avec la question des eurorégions puisque l’un des buts affirmés de cette réforme est de pouvoir rivaliser en compétitivité avec d’autres grandes régions européennes.
Actuellement, le gouvernement promeut la loi « 3D » (décentralisation, différenciation et déconcentration) qui va bientôt se transformer en loi « 4D » (aux trois items précédents il faudra rajouter la décomplexification).
« La déconcentration, parallèle au mouvement de décentralisation, consiste à transférer au sein même de l’État des responsabilités de l’administration centrale vers les services déconcentrés, dirigés par les représentants de l’État au niveau territorial (préfets, recteurs académiques, etc.. La différenciation territoriale consiste à attribuer par la loi des compétences spécifiques à une collectivité territoriale ou la capacité des collectivités territoriales à exercer de manière différente une même compétence. » (6)
La loi organisera de nouveaux transferts de compétence (la transition écologique, les transports, le logement, la cohésion sociale et la santé) sans annonce d’engagements financiers précis.(7)
Si la nécessité d’organiser certains domaines de gestion politique au plus près du terrain peut s’envisager raisonnablement, il est permis de redouter la mise en place d’une « France à deux vitesses ». Le flou autour des moyens financiers affectés à ces futurs transferts de compétence nous fait craindre le développement de certaines régions et de métropoles riches au détriment des territoires moins bien dotés qui n’auront pas les moyens de lutter contre leur appauvrissement économique et social.
Il nous semble pertinent de souligner que sous les louables intentions de vouloir rapprocher la décision politique des réalités locales pourrait se cacher une autre volonté. Certains territoires « gagnants » de la mondialisation pourraient bien vouloir s’affranchir de leur solidarité naturelle dans le cadre national avec les territoires « perdants ». Ne perdons pas de vue que de telles tentations sont apparues dans d’autres pays (volonté sécessionniste de la Flandre vis-à-vis de la Belgique, de la Catalogne vis-à-vis de l’Espagne et de l’Italie du Nord par rapport à l’Italie du Sud).
Il n’est pas sûr que notre pays soit encore longtemps à l’abri de ce genre de tentations, bien dans l’esprit de nos « élites mondialisées ».
Fiers d’être « jacobin » !
Les libéraux et une partie de la gauche dénoncent souvent le caractère très centralisé de l’organisation de la Nation française. Ce « jacobinisme » serait responsable de bien des lourdeurs de la machine administrative française, éloignée des réalités de terrains. De plus, cette centralisation serait synonyme de négation des différences sociales, culturelles et linguistiques de nos territoires. Il faudrait donc « dégraisser le Mammouth étatiste » en valorisant l’échelon local (surtout l’échelon régional et celui des grandes métropoles ).
Il est bien sûr nécessaire d’adapter les lois et règlements aux situations locales et de favoriser la participation de la population aux décisions concernant leur cadre de vie le plus proche. Mais cela ne saurait se faire au détriment de la cohésion nationale. Nous pensons que l’unité des principes de la loi républicaine sur tout le territoire est le meilleur garant de l’égalité de traitement de tous les citoyens de ce pays. Les chantres de la proximité ne sont pourtant pas gênés par la contradiction existant entre leur discours et leur volonté de réduire les compétences des départements et des communes au profit de la région et des métropoles. De fait, ils visent surtout à vouloir diluer la souveraineté nationale dans une future souveraineté européenne conforme aux exigences du capitalisme apatride.
Plus que jamais, la République une « indivisible, laïque, démocratique et sociale » nous paraît être le meilleur cadre possible pour des politiques efficaces de résistance aux assauts du capitalisme financiarisé et mondialisé.
Sources :
(2) Le 29 mai 2005, le peuple français rejetait par référendum le projet de traité constitutionnel européen. Le vote des Français fut bafoué en 2008 par l’adoption du traité de Lisbonne par les deux chambres réunies en congrès à Versailles. https://reporterre.net/Le-traite-de-Lisbonne-est-une-trahison-de-la-democratie
(3) http://www.espaces-transfrontaliers.org/ressources/territoires/euroregions/
(5) http://besoindaire.com/pdf.html
(6) https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2020-01/L19193_DP_loi-3D_web.pdf
https://www.alsace.eu/la-collectivite/
* http://canempechepasnicolas.over-blog.com/2021/01/a-propos-de-la-ceation-des-collectivites-europennes-dont-macron-et-son-clan-inventent-la-premiere-en-alsace-par-jean-levyen-alsace.h
https://www.youtube.com/watch?v=UiCxtnlOqnl&t=660s
Article publié par : https://ms21.over-blog.com/2021/03/loi-3d.html