Économistes, nous participons activement à la campagne
de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale.
La perspective d’une victoire de la gauche aux élections législatives éveille un immense espoir dans une partie de notre peuple : priver Emmanuel Macron d’une majorité parlementaire, porter un coup d’arrêt à son autoritarisme, à ses assauts contre nos retraites et contre nos services publics (santé, école, justice, …), et répondre aux attentes populaires qu’il n’a cessé de bafouer pendant cinq ans : augmentation des salaires dont le SMIC à 1 500 euros, retraite à 60 ans, égalité salariale entre les femmes et les hommes, investissements et créations massives d’emplois pour faire face, enfin ! au péril climatique et à l’urgence sociale.
La gauche ne peut pas se permettre de décevoir ces espoirs. L’enjeu politique qui prend une importance croissante à quelques jour du scrutin, est celui des moyens, en particulier financiers, de réaliser les objectifs sociaux et écologiques qui sont largement partagés à gauche, et donc conjointement des pouvoirs à conquérir contre le MEDEF, les grandes banques, les BlackRock et autres fonds d’investissement.
Dans le camp du pouvoir, comme à chaque fois qu’une circonstance semble de nature à favoriser des politiques s’écartant d’une stricte obéissance aux exigences du patronat, des marchés financiers et des multinationales, des économistes annoncent l’apocalypse en cas de victoire de la gauche. Selon eux, il faudrait continuer de sacrifier l’emploi et les salaires, et se mettre à baisser les dépenses publiques, au nom de la « baisse du coût du travail ». Songent-ils un instant au choc contre le pouvoir d’achat qui accompagne le retour en force de l’inflation, aux ravages de la précarité, du chômage et du sous-emploi qui touchent des millions d’habitantes et habitants de ce pays ? à l’effondrement de notre capacité de production de richesses que les grands groupes de l’industrie, des services et de la finance ont provoqué avec leur obsession de la rentabilité financière, avec la complicité active d’Emmanuel Macron ? Sans parler de l’effet meurtrier de la remontée des taux d’intérêt de la BCE, vouée à la sauvegarde des intérêts du grand capital face à l’inflation et au dollar, remontée contre laquelle rien n’est fait.
C’est une tout autre logique qu’il est devenu urgent d’opposer à ces orientations.
Mais il ne suffira pas de taxer les riches, d’augmenter les salaires, de mobiliser l’épargne, et de favoriser « l’investissement », en espérant stimuler ainsi l’activité économique. Ce keynésianisme traditionnel a régulièrement échoué, notamment depuis 1982.
Le cœur de l’enjeu de la réussite politique ce sont les entreprises, ce qu’elles vont faire. Elles sont dominées par le grand capital et sa logique.
Or, il faut regarder la réalité en face. Les forces du capital n’ont aucune intention de coopérer avec un gouvernement de gauche dans la réalisation de son programme social et écologique. Le président du MEDEF a annoncé la couleur : les patrons « vont arrêter d’embaucher, ils vont arrêter d’investir ». Comment surmonter cet obstacle ?
La réussite d’un défi inédit exige un renouvellement des modes de pensée. Il faut aller au-delà du triptyque « taxer, mobiliser l’épargne, investir ».
La création monétaire doit être massivement mobilisée, mais tout autrement, aussi bien pour les dépenses publiques (embauches et formation dans la santé, l’éducation, les transports, la justice, etc.) que pour changer les critères de décisions des entreprises, avec une sélectivité nouvelle du crédit bancaire. Dans les entreprises des pouvoirs décisionnels doivent être confiés aux travailleurs et aux citoyens pour mettre en œuvre des propositions alternatives. Les critères d’au moins 160 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises, doivent être changés, devenir systématiquement écologiques et sociaux. De nouvelles institutions de suivi et de planification assureront la réussite de cela.
Il ne suffira pas, en effet se croyant « radical », d’opposer une relance de la demande (hausse des salaires et des dépenses publiques) à ce que le camp conservateur prétend être une « politique de l’offre » et qui est en réalité un soutien tous azimuts et sans conditions aux profits, à la rentabilité des capitaux privés.
Opposer « politique de l’offre » et « politique de la demande », c’est ne pas voir qu’il faut une offre radicalement nouvelle en même temps qu’une autre demande, un autre type de consommation ! Une autre offre, c’est loin de n’être que de l’investissement. C’est une production écologique et sociale, exigeant des recherches, faite de services publics, visant les besoins humains de santé, de culture, etc., et faite d’une nouvelle industrialisation écologique et sociale. Il faut oser voir que le programme de la NUPES contient en partie cette idée incontournable d’une autre offre.
Mais il faut en tirer les conséquences de politique économique : c’est l’emploi qui est le cœur du lien, absolument nécessaire, entre offre et demande. Un lien que nous voulons profondément transformer. Le comportement anti-emploi de tout le système, et avant tout des grandes entreprises et des banques, n’est pas seulement un problème de manque « d’empathie sociale », ou d’aveuglement sur la demande générée par les salariés et leurs revenus, c’est la conséquence de la domination du capital.
L’emploi, les qualifications, les capacités humaines de créativité sont aussi au cœur d’une transition productive écologique réussie qui devra s’opposer à la priorité au capital et à l’accumulation.
Une autre offre, c’est aussi baisser les coûts tout autrement, en s’attaquant à celui du capital (dividendes, intérêts bancaires, gâchis matériels et financiers), en impulsant des dépenses d’efficacité (formation, recherche, emploi) et des partages qui font baisser les coûts tout autrement. Voilà le défi que nos macroniens ne veulent pas voir, en brandissant les coûts comme un simple épouvantail qui empêche de réfléchir.
Alors que faire ? Bien sûr, il faut rééquilibrer totalement les impôts, refondre la fiscalité et développer l’activité. Mais quelle activité et comment ? Investir ? Mais aujourd’hui, ce que font les grandes entreprises et l’État lui-même, c’est dépenser en capital financier voire matériel contre l’emploi ! Au nom de quoi, pour les macroniens, il faudrait tout faire pour les profits, poursuivant en cela la politique de F. Hollande et de bien d’autres avant. Au contraire, la question clé, c’est l’emploi son développement, sa qualification reconnue dans les salaires, au lieu de le supprimer, de le déqualifier. L’emploi et la formation doivent venir d’abord, l’investissement doit l’accompagner et l’appuyer. Au-delà, il s’agit d’aller vers un nouveau paradigme : une sécurité d’emploi ou de formation tout au long de la vie.
« Taxer, mobiliser l’épargne et investir », ce ne serait pas voir non plus, au contraire de Keynes lui-même, l’importance de l’impulsion initiale anti-austérité par des avances monétaires massive. Ce n’est pas voir l’urgence d’une baisse sélective des taux d’intérêt, alors qu’ils ont commencé à remonter fortement. Ce n’est pas, non, plus voir à quel point la vulnérabilité de notre économie dans la mondialisation et la financiarisation s’est accentuée depuis l’époque, déjà lointaine, où la première politique de François Mitterrand s’y était fracassée, se refusant à changer la gestion des entreprises dominée par le taux de profit.
La condition de réussite d’une politique de gauche – la situation ne nous permet plus de biaiser avec cette exigence – est la conquête de pouvoirs démocratiques contre le pouvoir du capital sur l’utilisation de l’argent, dans les entreprises, dans les banques, dans les banques centrales.
Cela passe par le rétablissement et le renforcement des prérogatives économiques des instances représentatives du personnel dans les entreprises, des syndicats et des salariés eux-mêmes, pour imposer la réalisation de projets de développement de l’emploi, de la production écologique et de la création de valeur ajoutée dans les territoires, contre les licenciements et les délocalisations, et pour obtenir leur financement par des crédits bancaires ciblés et assortis de taux d’intérêt bas, voire négatifs.
C’est pourquoi le programme que nous soutenons comprend tout particulièrement la nationalisation du système bancaire et de crédit, de certains grands groupes d’entreprises, ainsi que des pouvoirs décisionnels des travailleurs : c’est l’apport du PCF.
Nous pensons même qu’il faudra, nécessairement, et la vie le montrera, créer de véritables institutions démocratiques et sociales de planification à partir des territoires, organisant le dialogue orienté social et écologie avec les entreprises et les banques, pour une gestion nouvelle et pour le suivi de cette gestion, avec incitations et pénalisations. Nous les nommons des « conférences permanentes emploi, formation, transformation productive écologique ». Elles peuvent être le pivot d’un nouveau type de démocratie et de République.
Les politiques économiques, les nouvelles institutions, doivent appuyer cette nouvelle logique. Il faut de nouveaux critères pour les aides publiques : appliqués immédiatement et conjugués avec une mobilisation du crédit bancaire distribué par les banques publiques qui existent déjà, ils permettraient une hausse efficace de l’ensemble des salaires, au-delà du SMIC, et de l’emploi.
Par la suite, des nationalisations d’un nouveau type, incluant des droits de décisions des salariés et des citoyens pour mettre en œuvre d’autres critères de gestion, doivent être mises en œuvre pour les banques privées et pour des entreprises industrielles stratégiques. C’est un des leviers d’action d’une nouvelle planification écologique et sociale, démocratique, à partir des territoires et des besoins, basée sur des engagements transparents, des financements nouveaux et un suivi démocratique.
Simultanément, la France doit agir pour une nouvelle internationalisation. À la place des traités actuels, elle doit être en pointe pour la négociation de nouveaux traités internationaux visant une coopération dans les productions fondée, non sur la rentabilisation des capitaux multinationaux mais sur le développement solidaire des biens communs (emploi, santé, environnement, … ) aussi bien dans les pays pauvres ou émergents que dans les pays développés, avec des financements internationaux émancipés de l’hégémonie du dollar et de Wall Street.
En Europe, l’argent créé par la BCE peut tout de suite être mobilisé pour refinancer des Fonds apportés par notre pôle financier public à des projets démocratiquement élaborés, décidés, réalisés et contrôlés dans nos territoires ou pour financer les services publics. Nous proposerons à tous les pays de l’UE d’y travailler dans des coopérations renforcées, et même d’élargir ces Fonds à l’ensemble des pays de la zone euro, pour commencer à changer concrètement les règles auxquelles doit obéir la construction monétaire européenne.
C’est à partir de ces mobilisations immédiates que seront créées, mais aussi dans les urnes et les institutions, les conditions de l’adoption de nouveaux traités, remplaçant le carcan des traités actuels par une solidarité des peuples et nations européens associés pour le développement de tous les habitants du continent, et pour de nouvelles coopérations avec nos voisins du Sud et de l’Est. Cela contribuerait à une émancipation vis-à-vis du dollar pour l’émergence d’une nouvelle commune mondiale de coopération de tous les peuples, jalon vers un nouvel ordre du monde.
Il serait préjudiciable à la réussite de la gauche que, sous couvert de respectabilité (envers qui ?) ou d’orthodoxie académique, on omette ces points fondamentaux, ou qu’on ne les considère que comme des ajouts de convenance pour obtenir un accord économique avec ce PCF qui, décidément, n’en finit pas de résister ! Nous considérons, au contraire, qu’ils sont des éléments déterminants pour « réussir ». Et même si nous ne sommes pas complètement entendus aujourd’hui, nous aurons bien des occasions de faire bouger cela dans la mandature : ce sera un apport indispensable à la gauche et au mouvement social.
Telle est notre conception de l’union et de la responsabilité politique : nouveau type d’union populaire et agissante, se nourrissant du débat ouvert et transparent, pour la réussite et la dynamique d’un changement réussi.
N’en déplaisent à tous les conservatismes de droite, comme de gauche, « le monde change de peau », comme le dit la chanson d’A. Souchon, « sera-t-il laid ou bien beau ? ». Cela dépend selon qu’on laisse « les clés du camion » aux amis de G. Roux de Beyzieux et au grand capital de Blackrock et compagnie, à leurs pouvoirs, à leur logique.
Un monde nouveau pousse sur le terreau des révolutions écologique, informationnelle, monétaire et anthropologique. Pour ce monde le développement doit viser l’émancipation humaine, appelle une nouvelle démocratie d’intervention et il dépend avant tout de l’emploi, de la formation, des services publics, bien au-delà des équipements matériels, n’en déplaise à ceux qui veulent nous faire croire que le capital et son monopole sur les entreprises comme sur la pensée et sur la société serait indépassable.
- Frédéric Boccara, économiste, Université Sorbonne Paris-Nord, membre du CEN du PCF et du parlement de la NUPES
- Yves Dimicoli, économiste, ancien membre du CEN du PCF et du Conseil d’analyse économique (CAE) auprès du Premier ministre
- Denis Durand, Directeur de la revue Economie et Politique, membre du CN du PCF
- Jean-Marc Durand, Rédacteur en chef de la revue Economie et Politique, membre du CN du PCF
- Evelyne Ternant, Docteur en économie, candidate NUPES dans le Jura (2ème circonscription), membre du CEN du PCF et du parlement de la NUPES