Les communes vont enfin disposer d’outils précis pour limiter le détournement d’une partie des habitations vers des locations de meublés touristiques. Une avancée législative bienvenue en ces temps de crise du secteur, qui a été soutenue et affinée par les élus parisiens au logement depuis dix ans.
L’Humanité – Publié le 5 janvier 2025 Camille Bauer
Les agents municipaux contrôlent désormais l’usage des logements soupçonnés d’être des meublées touristiques loués illégalement.
Cette fois, ça y est. Après des années de bras de fer contre le lobbying d’Airbnb, les villes vont enfin disposer d’outils adaptés pour lutter contre le développement des locations de meublés touristiques sur des plateformes.
La loi transpartisane « visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale », adoptée le 7 novembre 2024, complète le règlement européen sur les plateformes adopté au printemps 2024, pour leur offrir des moyens de lutter contre un phénomène qui absorbe une partie d’un marché locatif déjà en crise et contribue à la hausse des prix.
« C’est l’aboutissement d’un combat mené pendant dix années par la Mairie de Paris, d’abord par mon prédécesseur, Ian Brossat, puis par moi-même et ma collègue Barbara Gomes », se réjouit Jacques Baudrier, l’adjoint communiste chargé du logement dans la capitale.
25 000 logements loués illégalement
Première destination touristique du monde, Paris est depuis longtemps le fer de lance en France de la lutte contre Airbnb et autres Abritel. À ce titre, elle dispose d’une expertise dont elle a pu faire bénéficier les autres maires et les législateurs. « On a fait en sorte qu’il n’y ait plus de trous dans la raquette. Grâce à cette nouvelle législation, et au règlement européen adopté au printemps dernier, nous allons pouvoir sanctionner plus et gagner plus de procès », se réjouit l’adjoint PCF.
Jusque-là, identifier les près de 25 000 logements loués illégalement à Paris sur la plateforme Airbnb équivalait à chercher une aiguille dans une botte de foin. La vingtaine d’agents de la direction du logement et de l’habitat, chargée de traquer les appartements loués sur une plateforme qui sont des résidences secondaires, et ceux mis en location plus longtemps que la durée autorisée sans que leur propriétaire ait demandé l’autorisation de leur transformation en locaux commerciaux, en savent quelque chose.
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En ce froid matin de novembre, les voilà partis à la pêche aux informations dans quelques immeubles du XIXe arrondissement, identifiés par des recherches en amont. « Il peut y avoir des signalements, mais le plus souvent on se base sur les numéros de déclaration et sur les données envoyées par Airbnb », explique Stéphane (le prénom a été modifié), l’un d’eux.
La visite peut éclairer les données parcellaires dont disposent les services municipaux. « On sait que quelqu’un ici dépasse le nombre de nuitées autorisées, mais les informations que nous envoient les plateformes ne nous permettent pas d’identifier de quel lot il s’agit. On sait juste que c’est une personne qui possède deux logements », explique l’agent.
Première étape : interroger les gardiens, quand il y en a. Ici, elle n’a remarqué ni allées et venues répétées, ni boîtes à clefs. Croisé dans l’escalier, un habitant dirige les agents vers le 5e étage, porte face. « J’ai mis mon appartement en location dix jours, mais pendant mes vacances. Tous mes voisins font pareil », répond la jeune femme en legging et chaussons en moumoute, qui vient d’ouvrir la porte.
L’appartement du fond pourrait bien être la résidence secondaire recherchée. Il faudra affiner les recherches au bureau, où s’effectue le gros du travail d’enquête. « Il faut recouper les données fiscales et les usages auxquels est dédié le logement, avec les informations fournies une fois par an par les plateformes », détaille Alice Veyrié, sous-directrice de l’habitat à Paris. Les visites et les avis de passage déposés dans les boîtes aux lettres sont, plus encore qu’un moyen de recherche, l’occasion de rappeler la règle aux propriétaires parisiens.
Mais ce travail de fourmi ne devrait plus être qu’un mauvais souvenir en 2025. « Désormais nous allons disposer de données harmonisées et précises », se réjouit Blanche Guillemot, directrice du logement et de l’habitat à Paris. La transcription dans la loi française, en mai 2024, d’un récent règlement européen oblige désormais les plateformes à transmettre des informations détaillées, comportant l’URL (adresse Web) du profil Airbnb et la localisation du bien.
Ces données seront enregistrées sur une base de données nationale attendue d’ici à la mi-2025. La fiabilité des informations y sera d’autant mieux garantie qu’au lieu d’une simple déclaration sur l’honneur la loi contraint désormais le propriétaire qui s’enregistre à fournir des justificatifs prouvant qu’il s’agit bien d’une résidence principale.
Des évolutions dans les pièces nécessaires à prouver qu’un bien est à usage d’habitation
« Mais le principal gain de ces changements législatifs, c’est l’évolution du type de document nécessaire pour prouver qu’un bien est à usage d’habitation », précise Jacques Baudrier. L’avancée peut paraître technique, mais elle change tout pour les municipalités. Jusqu’à présent, pour prouver qu’un logement n’est ni un commerce ni un bureau, la seule pièce jugée valable devant les tribunaux était une fiche de révision foncière, datée précisément du 1er janvier 1970.
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« C’était un frein majeur à des poursuites judiciaires. Non seulement cette fiche n’existe pas toujours mais, en plus, il fallait pour que les juges en tiennent compte qu’elle soit bien renseignée et signée », raconte Blanche Guillemot. Avec la loi votée en novembre, les villes pourront désormais fournir différents types de pièces, étalées sur une période de trente ans. Un vrai soulagement pour Paris, qui avait dû renoncer à lancer de nombreuses procédures faute de toujours parvenir à mettre la main sur cette fameuse fiche de révision foncière.
« Nous allons pouvoir éviter l’accroissement des meublés touristiques et organiser la décrue », estime Jacques Baudrier. Il ne s’agit pas de s’en prendre à ceux qui louent leurs appartements à l’occasion, mais d’empêcher les abus. Pour cela, la ville compte bien utiliser toutes les dispositions contenues dans les nouvelles législations. Le 19 décembre, elle a ainsi voté la réduction de 120 à 90 le nombre de jours autorisés à la location en meublé touristique.
Elle espère également profiter du doublement de l’amende pour les contrevenants, passée de 50 000 à 100 000 euros, comme de la possibilité de poursuivre les conciergeries, véritable moteur de la professionnalisation du système. « C’est une étape essentielle mais pas suffisante. Pour réduire la pénurie et remettre des logements sur le marché de la location de longue durée, prévient l’élu communiste, nous devons désormais nous attaquer au fléau du logement vacant et mener la bataille sur la fiscalité des résidences secondaires. »